OUI/NON épisode 4 – 2018, grande année pour le Bellator FC ?
Depuis 2007, soit le moment de la disparition du Pride FC, et d’autant plus avec le rachat du StrikeForce en 2011, l’UFC règne sur le monde des arts martiaux mixtes au point de faire oublier qu’il existe encore d’autres compagnies. Ainsi le Bellator FC, approchant les dix ans d’existence, a donné l’impression d’avoir franchi un cap lors de ce millésime 2018. Pour le meilleur et/ou pour le pire ?
OUI : Une base de combattants A’
Soyons honnêtes, lorsque l’on se penchait sur le roster du Bellator en 2010 ou 2011, on peinait à distinguer des figures connues ou ayant déjà une carrière aguerrie ailleurs. À une époque où le StrikeForce tient le rang de numéro 2 des arts martiaux mixtes, le Bellator n’est qu’une vague alternative grâce à sa formule de tournois permettant de mettre en lumière les laborieux du circuit : « Là où les titles shots ne se donnent pas mais s’obtiennent » comme le disait le slogan de la compagnie, portant une attaque sous-jacente à l’UFC. Depuis la prise en mains par Scott Coker fin 2014, le Bellator a certes perdu de son identité originelle en délaissant les tournois mais il a grandement augmenté son pouvoir d’attraction, ne se contentant plus de révéler des inconnus ou récupérer des combattants licenciés par l’UFC. Aujourd’hui, son roster est une constellation de stars A’, s’est construit en réponse aux limites fixées par le monopole exercé par le sponsor Reebok dans l’Octogone. Ainsi le leader du MMA a été déserté au bénéfice de son dauphin par des Benson Henderson, Rory MacDonald, Phil Davis, Gegard Mousasi, Lyoto Machida, Matt Mitrione, Michael McDonald, Lorenz Larkin ou encore Erick Silva, loin d’être des combattants en bout de course. Cet apport est complété par des stars émergentes très prisées tels Michael Page, Ilima-Lei MacFarlane, Liam McGeary, Darrion Caldwell, AJ McKee, Brent Primus, Logan Storley ou Rafael Lovato Jr. Et pour une part de nostalgie et star power supplémentaires, une bonne couche de grands « anciens » comme Fedor Emelianenko, Wanderlei Silva, Quinton Jackson, Chael Sonnen, Cheick Kongo, Frank Mir, Roy Nelson, Muhammed Lawal, Melvin Manhoef, Paul Daley, Josh Thomson…
OUI : Un bond sur le plan de l’internationalisation
Pendant longtemps le Bellator FC s’est cantonné aux États-Unis, et plus spécifiquement à son état de prédilection, la Californie. Depuis quelques années, le numéro 2 du MMA s’exporte et cette tendance a connu son pic en 2018 : Angleterre, Italie, Hongrie, Israël, autant de voyages ayant permis d’imposer leur bannière sous d’autres cieux tout en ouvrant sa cage à des combattants locaux. Ainsi Alessio Sakara, précurseur et figure de proue de la scène italienne, davantage boxeur que véritable fighter tout terrain, conserve sa place dans le roster (et a même eu droit à un title shot poids moyens à Florence fin 2017) grâce à son rôle d’ambassadeur reconnu (15 combats livrés à l’UFC entre 2005 et 2013). La réussite de cette internationalisation s’est aussi construite avec l’élargissement de la compagnie aux combats de kickboxing, conduisant à décomposer certaines fightcards en deux parties distinctes. Là aussi l’occasion d’intégrer des figures connues du pieds/poings, ex-K1, It’s Showtime ou Glory tels le champion américain Raymond Daniels, la référence ultime des poids légers Giorgio Petrosyan ou le Canadien multi-couronné Gabriel Varga. Autant d’atours pour rehausser la renommée et la valeur strictement sportive de la fédération de Scott Coker.
OUI : La reprise du « titre » de numéro 2 face à une pâle concurrence
Qui derrière l’UFC pour prendre le titre officieux de numéro 2 du circuit MMA ? Un débat de longue date désormais facile à trancher. Depuis l’arrêt du StrikeForce en 2013, plusieurs arguments pesaient en faveur des concurrents du Bellator : le One Championship asiatique ou le compatriote US World Series of Fighting (disparu puis devenu Professional Fighters League), crédibles et prestigieux à leur façon. Ajoutons à ces candidats une scène européenne non négligeable jusqu’à peu avec le M-1 de Vadim Finkelstein, le KSW en Pologne ou les importants bastions du circuit britannique que furent Cage Warriors et BAMMA. Cette scène alternative s’est considérablement étiolée : le One Championship remplit ses cartes comme il peut, le plus souvent avec des inconnus au palmarès vierge en professionnel, la PFL est en plein rodage de sa formule mi-championnat/mi-tournoi devant établir un classement objectif sur une année civile ; quant aux fédérations du Vieux Continent elles sont soient réduites à organiser une petite poignée de shows sur l’année (3 pour le BAMMA, 5 pour le KSW) soient contraintes à l’anonymat (M-1, Cage Warriors FC) et le transfuge de leurs meilleurs éléments vers les grosses ligues. Lorsque pointe un week-end sans shows UFC au programme, le fan de MMA se tourne donc logiquement vers le produit proposé par le Bellator FC, juste milieu entre prestige sportif et star power. Plus anecdotique mais tout aussi significatif, le site de référence anglophone Sherdog propose dans son menu « fight finder » des raccourcis vers les fightcards de seulement deux compagnies : UFC et Bellator. Il y a peu encore, WSOF et One Championship bénéficiaient de ce lien direct.
NON : Un tournoi de vieux lions s’éternisant jusqu’en 2019
Le StrikeForce avait déjà fait le « coup » par le passé : le tournoi poids lourds 2011 dont la finale eut lieu en mai…2012. Le projet de redorer le blason d’une division +93 kg n’ayant plus de champion officiel depuis mai 2016 (et dont la dernière défense du titre date d’avril 2014!) est louable, encore fallait-il réunir le bon casting à l’affiche du tournoi et le condenser sur quelques dates rapprochées. Soit la façon par laquelle le Bellator première mouture procédait. Cette fois, l’éparpillement a miné l’enjeu puisque chacun des quarts de finale s’est disputé sur une date isolée, de janvier à mai, et les demi-finales ont seulement eu lieu en octobre, repoussant la finale à fin janvier 2019 . Il y a également à dire sur la nature des candidats, pour la plupart des faux poids lourds : King Mo, Wanderlei Silva, Rampage et Ryan Bader ont évolué le plus souvent entre 84 et 93 kg, tandis que Chael Sonnen fut surtout un poids moyens à l’UFC. Seuls Fedor Emelianenko, Matt Mitrione et Roy Nelson représentent véritablement la catégorie. En privilégiant les besoins de notoriété, le Bellator a mis de côté le mérite sportif de son roster actif. Pour exemple parlant, un Cheick Kongo présentant fin 2017 une carte de 9-2 au sein du Bellator (dont cinq victoires de rang) n’a pas fait pas partie de la course directe au titre. Depuis, il a porté sa série de succès à sept et devra s’en arroger une huitième pour éventuellement défier le vainqueur du tournoi. Pas d’une grande limpidité.
NON : Un calendrier au rythme irrégulier, peu propice à fidéliser le public
Comme dit dans les points positifs, le fan d’arts martiaux mixtes souhaitant « bouffer » autre chose que de l’UFC peut se sustenter efficacement via le Bellator FC. Oui, mais quand ? Le déroulement d’une saison n’a plus la limpidité de l’époque où le numéro 2 mondial proposait un gala hebdomadaire le vendredi soir. Désormais, la compagnie de Scott Coker est capable de tenir des shows à deux dates consécutives (2-3 mars,13-14 juillet,12-13 octobre) avant de demeurer en sommeil pendant un mois (rien entre le 3 mars et le 6 avril, même break entre le 14 juillet et le 17 août, idem entre le 13 octobre et le 15 novembre). Sur l’année civile 2018, cela donne 23 galas, soit une moyenne tout à fait correct, sinon le manque d’une exposition médiatique constante. Comment prétendre à fidéliser un public, volontiers volatile, si l’on occupe la scène de manière sporadique ? Scott Coker semble avoir pris conscience de cette limite en réintroduisant progressivement des tournois, contribuant à donner une allure de feuilleton, alors même qu’il s’était empressé de les retirer du programme au moment du rachat de la compagnie. Un choix posant cependant d’autres problèmes (voir par ailleurs).
NON : Des choix allant à l’encontre de l’intérêt sportif…et marketing à la fois
Si le premier point négatif a donné un aperçu de certaines limites dans la cohérence sportive, on peut élargir cet aspect boiteux à plus grande échelle. Car non content de ce tournoi poids lourds à rallonge, le Bellator FC remet ça avec la division des welters, commençant la compétition en cette fin d’année pour la clôturer on ne sait quand. Avec le même nombre de participants, huit, et surtout la présence plutôt incongrue du champion en titre, Rory MacDonald, couronné début 2018 et n’ayant pas encore défendu la ceinture…pour cause d’affrontement face au champion de la catégorie du dessus, Gegard Mousasi. Cette mode des dream matchs entre deux détenteurs de ceintures, à laquelle cède volontiers l’UFC aussi, a l’inconvénient de laisser des challengers légitimes sur le carreau. Et à l’extrême, MacDonald devrait désormais mettre en jeu le titre lors du quart de finale face à un Jon Fitch débarquant à peine au Bellator, assurant en théorie que la ceinture soit ensuite défendue à chaque stade de la compétition. Au sein de ce tournoi, trois outsiders encore invaincus (Michael Page, Neiman Gracie, Ed Ruth), soit la garantie d’au moins deux auras qui s’éteindront, pas la meilleure stratégie commerciale pour construire un storytelling et des stars durables.
Par ailleurs, la hiérarchie d’une division tend à être dénaturée lorsque des récents transfuges de l’UFC obtiennent un accès express à un match de championnat. Ainsi Ryan Bader, éternel gatekeeper au pays de Dana White, s’est vu offrir une chance au titre mi-lourds pour son combat d’intronisation au Bellator, puis une place dans le tournoi poids lourds cette année, une double dose de spotlight au détriment des réguliers de ces catégories.
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